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Eloge du Roseau

"Les pieds dans l'eau, la tête au soleil"


Voir également :

Eloge du lentisque | Suffren | Suffren - 2è partie | Suffren - ...ante ans après

Haie de roseaux

Haie de roseaux - Photo Dr.S.A.Gubbb - 1913


Georges, Petit Maurice, Pierre et les autres, mes "grands cousins" et leurs amis, avaient fondé un club : Le "Roseau-Club". J'étais un peu des leurs, quoique plus jeune; je les admirais, je les enviais, et j'en étais un peu amoureuse... c'est normal. Ainsi donc le mot "roseau" était rentré dans mon vocabulaire agronomique comme les lentisques et les térébinthes du fond du jardin. De toutes façons, les roseaux étaient omniprésents dans ma vie. Il y en avait partout en Algérie et principalement à Suffren où je passais la plupart de mes étés.

Les membres du "Roseau-Club" avaient pour unique préoccupation l'absolue nécessité d'avoir les pieds dans l'eau et la tête au soleil, ce qui, à Suffren était chose facile. Autrement dit, ils se la coulaient douce, pas trop vite le matin et lentement le soir. Ils allaient à la pêche, me faisant porter jusqu'au garage du bateau, le "Popeye", les lourds avirons en me promettant à chaque mise à l'eau, qu'ils ils m'emmèneraient une prochaine fois... Cerf-volant

De retour, toujours au même rythme, ils se mettaient les pieds sous la table, et sitôt le déjeuner fini allaient lentement faire une sieste énorme...Ils ne faisaient pas grand chose après et le lundi, que fallait-il faire??? Il fallait "casser le roseau", autrement dit aller travailler...

En vacances, je restais tranquillement dans mon petit paradis, et en profitais largement. Les roseaux c'était autre chose qu'un club!!! Guiguitte était ma compagne de jeux. La plupart du temps, comme nous étions un peu "garçons manqués", nous jouions à la guerre. Jouer à la guerre c'était rouler de la terre avec de l'eau dans nos mains, en faire des boules, les faire bien sécher au soleil, les emporter soigneusement dans des couffins et nous rendre sur le théâtre des opérations pour rencontrer l'ennemi. L'ennemi, c'était les garçons des villas voisines qui nous attendaient dans les haies de roseaux. Le théâtre des opérations, c'était les haies de roseaux, épaisses et parfois impénétrables tant ils étaient serrés. Nous nous glissions doucement, tâchant de faire le moins de bruit possible, nos lourds couffins à la main, jusqu'à ce que nous ayions trouvé la position idéale que nous pensions être invulnérables.

Nous guettions le moindre craquement, le moindre souffle, restions muettes pour ne pas nous trahir. Et puis l'attaque commençait. Il fallait viser juste, entre les fûts minces des roseaux pour atteindre notre cible, et nous étions aussi victimes des ripostes de l'ennemi, qui plus costaud que nous ne nous épargnait pas. Nous avions l'impression que cela durait des heures tant nous voulions gagner et les faire reculer. Cela ne se passait hélas, pas toujours comme ça et nous nous sommes souvent repliées nous même bien des fois, la tête couverte de terre, les genoux et les mains entaillés par les feuilles des roseaux, et pleurant même parfois. Mais lorsque la victoire était de notre ressort, plus fières qu'Artaban, nous rentrions sur la Place portant les plumeaux de la victoire, la tête haute, mais toujours couverte de terre, cette terre un peu rouge et sableuse qui nous donnait tant de bonnes tomates, haricots verts, petits-pois et poivrons!!!

Lorsqu'il faisait vraiment trop chaud pour guerroyer, nous faisions calmement des flûtes avec le bourgeon terminal des roseaux ou bien faisions aussi des cerfs-volants, avec du papier bleu pour couvrir les livres de classe, de la ficelle et des roseaux coupés en deux dans la longueur pour tenir le papier. Ils étaient hexagonaux, tout simples, mais volaient avec un entrain, qui nous ravissait. Près du bassin de l'Oncle Maurice, nous faisions avec les feuilles, de petits bateaux, en repliant les deux bouts de la feuille, coupant dans le bord replié, deux lignes que l'on croisait au-dessus de la troisième bande. Certains avaient même une cheminée: l'attache de la feuille contre le fût du roseau. Ils sombraient facilement tant leur équilibre était précaire, mais les voir voguer sur l'eau sombre du bassin, sous le ficus, nous enchantait...

Champs Tout autour des villas s'étendaient des champs maraîchers, et pour les protéger du vent, il n'y avait pas mieux que les roseaux. Comme ils poussaient là, à l'état naturel, il n'y avait qu'à les discipliner pour en faire des haies superbes, d'un beau vert gris tendre, et qui, l'automne approchant se paraient de plumets argentés, qui ondulaient lentement dans le vent. Non seulement ils étaient utiles pour cela, mais encore rentraient pour une large part dans nombre d'utilisations. Coupés dans leur longueur en lamelles, ils devenaient le corps de paniers pour les légumes ou toute sorte de marchandises sur les marchés. On pouvait aussi en faire des nasses pour les poissons et les langoustes. Et je ne vous apprendrais rien en vous disant que ces lames de roseaux, mises à plat et tenues par du fil de fer faisaient des protections utiles pour le soleil et aussi pour couper le vent dans les champs. Tout le monde connait les "canisses"...que nous avons retrouvées dans le Midi de la France. Ici, on appelle les roseaux, "cannes de Provence", mais pour moi ce sont toujours des roseaux et je ne suis pas dépaysée lorsque je les vois onduler dans le vent.

Anche J'ai appris également que dans le Var, des entreprises exploitent les roseaux, fabriquent et exportent dans le monde entier des anches très recherchées. Ce département français en est le plus gros importateur du monde. Depuis la nuit des temps, l'homme souffla dans un morceau de roseau et en tira une note claire. (J'ai souvenir d'une flûte que l'on disait "arabe", achetée à Bou-Saâda qui enchanta mes premiers essais musicaux) Cette flûte-là était simple puisqu'elle n'avait pas d'anche. l'"anche", petite lamelle de roseau qui épouse les contours de l'orifice bucal et l'obture parfaitement est venue améliorer les flûtes et autres instruments comme la clarinette ou le hautbois. Ce sont les vibrations de cette "anche" qui produisent le son, ses modulations de volume et de timbre et toutes les subtilités de la flûte. Quel honneur pour le roseau de mon enfance!!!
Je n'oublie pas non plus le roseau qui servait à cueillir les figues. Chaque année, au moment où le figuier de la cour, commençait à montrer au travers de ses feuilles, ses boules violettes, un peu craquelées, il fallait aller choisir un grand roseau et le transformer en cueille-figue. Pour cela on entaillait le bout le plus large en quatre, on plaçait un bouchon entre les quatre lamelles, ligaturait à l'extérieur, solidement le tout et arrondissait les bords coupants des lamelles. Il ne restait plus qu'à se glisser sous les feuilles et ramasser les figues. Il y a un figuier à la Grange, il y a aussi des roseaux... j'ai donc fait un cueille-figue. Pensons aussi aux tuteurs en pyramides, des tomates...aux cannes à pêche...J'oubliais de vous dire aussi, que devenues "grandes", les haies de roseaux abritèrent souvent nos amours débutantes et nos baisers furtifs!!! Pour en terminer, je n'oublie pas non plus les sarbacanes, faites entre deux nœuds, pour pouvoir envoyer les graines de lentisques, sur les jambes des garçons !!!(Merci Pierre...)

Mon ami le roseau est là chez nous, présent, comme il l'était à Alger...Peut-être que c'est l'une des raisons aussi, qui m'a poussée à retrouver mes racines dans ce beau pays.

Addendum:

Nous jouions aussi "aux roseaux"...Couper longitudinalement un roseau en quatre, et tailler dans ces baguettes des morceaux d'une vingtaine de centimètres, un peu pointus à chaque bout. Il s'agissait alors de les lancer à tout de rôle. Ils retombaient en tas et le but était de les retirer un à un sans faire bouger les autres... Une sorte de Mah-Jong maghrébin !!!(Encore merci Pierre...)


Pour donner une note technique à ce souvenir du roseau voici ce qu'en dit "Le Bon Jardinier" :
"ARUNDO" - Graminée à chaume presque ligneux à la base. Feuilles planes. Inflorescence en panicule avec de nombreux epilets. 6 espèces des régions tempérées et chaudes.
Donax - Canne de Provence à tiges creuses, articulées, de 4-6 m de haut. Feuille rubannée, vert glauque. Florescence en panicules grises, en sept-oct. Terres profondes et humides. (Plusieurs variétés)

Culture et emploi -"Arundo Donax" est cultivé dans le Midi comme brise-vent, de même que pour de nombreux usages domestiques. Ne couper les vieilles tiges qu'au printemps, au moment de la nouvelle pousse. A isoler sur des pelouses humides."(Les roseaux d'Algérie sont des "Arundo Donax)"

Et voici ce qu'en dit le Dr.A.S.GUBB dans "La Flore Algérienne naturelle et acquise" :
Arundo Donax - Roseau de Mauritanie ou canne de Provence - Plantes rhizomateuses formant des touffes composées de tiges ou chaumes, souvent hauts de 5 m. feuilles assez longues, presque coupantes, (d'où nos coupures sur les mains pendant nos guerres!!!) la terminale roulée en tube (d'où les flûtes !!!). Inflorescence au sommet des tiges en panache, presque laineux. Très répandu en Algérie surtout aux abords des rivières, ruisseaux et dans les lieux humides. Le roseau est employé pour divers usages notamment pour la confection des corbeilles d'emballages.
Plumeau
Le plumet des roseaux

> Création : 2000-10-14

Mise à jour : 2003-01-05 | 2003-09-22 | 2006-03-28> | 2013-02-01 | 2019-10-31 | 2020-02-10 | 2021-02-16 |

Photos et dessins FBB
Bateau fabriqué ce jour par FBB
Peinture de Durand : La côte près de Tipasa - Coll.FBB



© Françoise Bernard Briès.

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